Le renouveau de l’art sacré à Besançon.

De nombreuses commandes contemporaines ont été passées par le diocèse de Besançon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Découvrons celles de la cathédrale Saint-Jean-Saint-Etienne et de l’église Saint-Pierre.

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le diocèse de Besançon s’est ouvert aux créations de son époque. De nombreux artistes ont reçu des commandes de l’Association diocésaine par l’intermédiaire de la Commission d’Art sacré. Certaines des nombreuses églises du centre-ville ont été dotées d’une création artistique. Un circuit en propose une découverte à la fois esthétique et liturgique.

La cathédrale Saint-Jean-Saint-Etienne

La cathédrale possède une configuration exceptionnelle. Construite sur une pente abrupte, le plan est issu de l’architecture de Rhénanie :  un chœur à chaque extrémité, l’un romano-gothique à l’ouest et le second baroque à l’est. La nef et les deux chœurs forment un seul volume sans transept, plan de type basilical, longé de galeries en impasse. La galerie sud est ponctuée de chapelles.

C’est un palimpseste d’histoire : des premiers temps chrétiens, de l’époque carolingienne, romane, gothique et du XVIIIe siècle.

Verrières du chœur de Jacques Le Chevallier (1947-1952)

Le chœur occidental a été doté de verrières conçues et réalisées par Jacques Le Chevallier.

Les rosaces sont toutes composées d’une scène sur fond rouge et de cinq lobes dans lesquels sont présentés des objets symboles de la scène principale comme le lys pour l’Annonciation ou les Instruments de la Passion pour la Piétà. Une nouvelle conception du vitrail qui n’est plus un tableau peint mais entre en dialogue avec l’architecture…

Le maître-verrier dessine avec le plomb et le verre, des formes schématisées qui naissent avec le verre coloré. Les plombs interviennent comme un élément de structure visuelle, devenant le trait qui souligne, affirme la forme. La palette de teintes est limitée au rouge et au bleu couleur de la Vierge, de sa charité et de la Passion et au jaune de l’ange. Cette utilisation réduite de la couleur et des tons dégage une importante surface de verre blanc peint en grisaille. Cette dernière vient modeler par le trait ou par les tampons le visage, les mains et le corps. Le tamponnage laisse une surface granuleuse, donnant l’impression d’un épiderme, produisant un effet de semis de lumière. La rosace propose un condensé de l’utilisation moderne de la grisaille : des enlevés à la pointe du manche du pinceau qui créent un graphisme libre de toute imitation, lavis picturaux en aplat qui modulent la transparence, et nuancent les couleurs. La grisaille est un moyen qui participe à la création d’effets plastiques et non une peinture qui recherche l’imitation.

Aménagement liturgique de Jean-Marie Duthilleul (2012)

Dix siècles d’Art sacré racontent l’histoire de la cathédrale. L’aménagement liturgique commandé doit se trouver dans le chœur majeur surélevé de cinq marches par rapport à la nef et fermée par une barrière de communion. Un mobilier provisoire en bois recouvert de tissus et un simple pupitre faisant office d’ambon est placé suite au concile Vatican II. A l’arrière, se trouvent le maître-autel orné de brocatelle rouge et une imposante cathèdre en bois doré offerte par Napoléon Ier posée sur une large estrade.

Un ensemble très isolé de la nef, donc de l’assemblée, fermée par la table de communion : comment constituer une assemblée de prêtres, laïcs, unis dans une participation active et joyeuse ? Comment rendre compte auprès des milliers de visiteurs de la vitalité de l’Eglise bisontine dans cette église-mère ?

Le nouvel autel est positionné en hauteur. C’est le lieu le plus propice à l’évocation de la venue du créateur. Cet espace garde alors sa vocation de chœur liturgique. Le sol en marqueterie de marbres devient alors un guide pour l’implantation du mobilier. Un motif central sous forme d’une grande étoile rayonnante signifiant le don universel du Christ répandu sur toute l’humanité à chaque eucharistie.

La barrière participe à la lisibilité de l’édifice en marquant chœur-nef-chœur. Seul le mobilier peut unir tout en poursuivant cette démarche d’accumulation :

  • L’autel placé au centre du sol est aussi l’axe de la nef.
  • Un autel du XVIe siècle, installé dans une des chapelles latérales, constitué de panneaux antiques à motifs de strigiles et d’un marbre dit brèche rouge accordé à celui du maître-autel, est installé sans podium particulier. 
  • L’ambon et la cathèdre sont réalisés en une même pierre semblable, nuance de rouge pour signifier leur caractère indissociable de l’autel et les situer dans une continuité avec celui de l’abside devenu autel de gloire. C’est le marbre de Carrare « Fleur de pêcher » pour la colonne support du livre et le siège de l’archevêque.
  • Les orateurs sont placés hauts pour donner l’impression de se rapprocher sans s’avancer. Le mobilier est donc placé à 1,10 mètre au-dessus du sol de la nef, accentuant sa proximité avec l’assemblée.
  • La silhouette est alors dégagée de la barrière de chœur.

Deux créations contemporaines qui signifient par leur présence l’actualité de la Parole adressée au monde d’aujourd’hui.

La maîtrise

Chaque cathédrale possède un chœur de chants sous la direction d’un maître de chœur d’où l’appellation de maîtrise. Au XIXe siècle, elle est installée dans l’archevêché (actuel rectorat) puis en 1911 la maîtrise s’installe dans l’ancien petit séminaire où elle se trouve actuellement.

C’est maintenant, l’Escale Jeune, une maison diocésaine, où vit une communauté de jeunes et d’adultes. Cette communauté répond à une mission confiée par l’évêque : l’accueil d’autres jeunes. C’est un espace de rencontres de jeunes d’origines et de sensibilités diverses. Il est proposé par des chrétiens et est ouvert à tous.

Le réfectoire : Jean Olin (1950)

Le réfectoire a reçu en 1950 une longue fresque de l’artiste Jean Olin, qui s’étend sur toute la longueur de la salle. Trois grandes scènes se répartissent l’espace alternant avec les symboles des quatre évangélistes. Au centre, de jeunes anges musiciens chantent et jouent de la flûte évoquant la première destination du lieu où était formé le chœur de la cathédrale. De part et d’autre : les Noces de Cana et la Pêche miraculeuse.

Les noces de Cana, premier miracle de Jésus relaté dans l’Évangile de Jean, qui transforme l’eau en un bon vin et en abondance, est une scène qui est traditionnellement placée dans un réfectoire. Jésus manifeste la puissance divine et emporte l’adhésion de disciples encore sceptiques…

La Pêche miraculeuse est à l’origine de la vocation des apôtres Pierre, Jacques et Jean qui accompagnent Jésus et deviennent des « pêcheurs d’hommes ».

L’image de la pêche se rapporte à la mission de l’Église, souligne le pape Benoit XVI lors de l’Angélus du dimanche 10 février 2013 : « De cette manière, l’évangéliste montre comment les premiers disciples ont suivi Jésus et lui ont fait confiance, en s’appuyant sur sa parole, accompagnée par des signes miraculeux… »

La fresque est très inspirante, pour un certain nombre de jeunes, qui, ici, se sont voués au sacerdoce et à la vie consacrée.

Des figures monumentales qui s’insèrent dans le mur, silhouettes longues, des lignes simplifiées, dynamiques par le mouvement des drapés des attitudes, des ombres. Un univers un peu cubiste rappelant l’art déco de l’Entre-Deux-Guerres.

Église Saint-Pierre

C’est entre 1780 et 1784 que la construction de l’église Saint-Pierre de Besançon, au cœur de la ville, est achevée. C’est l’architecte Claude-Joseph Bertrand (1734-1797) qui en est l’auteur. De plan centré en croix grecque, avec trois nefs et trois chapelles absidiales dont les branches se recoupent à la croisée du transept, l’édifice s’inscrit dans une architecture néo-classique. Elle est classée au titre des Monuments Historiques en 1942.  Un riche décor de boiserie, d’ornementation en stuc, de statuaire du XVIIIe et XIXe siècles contribuent à créer une ambiance minérale.

Le Chemin de croix (1951-1969/1970) – Albert Décaris

L’abbé René Flusin commande des estampes pour un chemin de croix. En 1948, il sollicite en Albert Decaris concertation avec l’archevêché et la Commission d’Art sacré. Le chemin de croix est érigé en 1951.

En 1969, lorsqu’il quitte la paroisse, le chanoine Flusin fait don à l’église Saint-Pierre des quatorze stations du chemin de croix gravées par Albert Decaris, l’artiste décide alors de présenter les plaques de métal sur les piliers de l’église.

Il utilise la gravure sur acier, technique dure à travailler mais plus précise dans les détails. L’acier permet aussi d’obtenir un plus grand nombre de tirage sans que la plaque s’use. Peintures, bas-reliefs et céramiques sont habituellement les vecteurs d’expression les plus courants pour un chemin de croix. Albert Decaris fait le choix de la gravure exécutée au burin, dite technique de la taille douce, et présente les plaques plutôt que les estampes.

Un trait puissant, exceptionnel. Albert Decaris ne garde que les grands traits de nature et d’humanité. Il n’encombre pas ses œuvres de tout un bric à brac archéologique, il ne reproduit pas l’anecdotique mais représente de grandes figures monumentales inscrites dans des compositions classiques avec un grand sens de l’effet du drame universel remplissant le cadre tracé. Un art de la suggestion et de la simplification grâce à un trait puissant, exceptionnel inspiré de Véronèse, du Tintoret et du Greco.

L’aménagement liturgique de Jean-François Ferraton (2007)

En 1999, une réflexion est lancée par le Conseil paroissial et la Commission diocésaine d’Art sacré pour l’aménagement d’un nouvel espace liturgique. Celui-ci sera consacré en 2007 par Mgr Lacrampe.

La commande, passée auprès de Jean-François Ferraton, sculpteur, doit mettre en avant le besoin de signifier la transparence lumineuse et la nécessité de polariser l’espace liturgique.

L’artiste conçoit une œuvre entièrement en verre thermoformé avec l’ajout d’or à la feuille. Le verre habituellement employé pour les vitraux est ici utilisé pour le mobilier liturgique. Le sculpteur s’appuie sur les archétypes mis en lumière par Saint-Jean dans son Apocalypse.

L’ambon a un fût réalisé en verre coupé irrégulièrement à la main sur la face avant et grugé à la pince sur la face arrière.  Il évoque le jaillissement d’une source scintillante grâce aux diffractions lumineuses et des ajouts de feuilles d’or. Des volumes latéraux légèrement concaves accompagnent le mouvement de résurgence tout en suggérant un discret enveloppement.

Jean-François Ferraton, ambon de l’église Saint-Pierre. Photographie de Gabriel Vieille

Jean-François Ferraton, aménagement liturgique de l’église Saint-Pierre. Photographie de Gabriel Vieille

L’autel est composé de deux faces externes concaves en verre très épais transparent et thermoformé ce qui lui donne un relief prononcé et irrégulier et de deux faces internes convexes en verre doré à la feuille sur toute la surface. Leur assemblage crée un vide entre elles, la transparence est variable et la couleur solaire due à l’or est accompagnée par les subtilités de la lumière diffractée. La face antérieure de l’autel peut suggérer le Buisson Ardent.

La croix de chœur en verre thermoformé et grugée à la pince et ajout d’or à la feuille « annonce le Christ transfiguré, lumière des nations » souligne le Père Gabriel Pobelle, curé de la paroisse.

Jean-François Ferraton, Croix de chœur. La croix de procession vient se placer devant la croix de verre lors des célébrations. Photographie de Gabriel Vieille.

Le verre est un matériau composé de 75% de silice (du sable) et de 15% de calcaire (pierre concassée), le reste étant du fondant pour diminuer le point de fusion. Certaines pierres comme le grès sont composées en totalité de silice, la basilique de Luxeuil pourrait être transformée en verre avec un très haut degré de chauffe.

C’est en quelque sorte une pierre sublimée, proche des pierres précieuses. Des analogies qui résonnent dans plusieurs passages de l’Apocalypse. La Jérusalem céleste est décrite comme un énorme cristal cubique taillé avec des inclusions de pierres précieuses colorées : « ce rempart est construit en jaspe et la ville est de l’or pur comme du cristal bien pur… » (Ap 21, 18). Le verre remplace la pierre comme matériau de construction.

Jean-François Ferraton utilise donc du verre épais et thermoformé, c’est-à-dire un verre modifié par la cuisson dans son grain et dans son relief grâce à l’apport d’une empreinte formelle, la qualité lumineuse du matériau est alors accentuée comme sa plasticité. Ce verre épais évoque l’eau, sa limpidité, eau spirituelle dont saint Jean se veut le révélateur : « puis l’ange me montra le fleuve de vie, limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau » (Ap, 22, 1). L’ajout d’or à la feuille vient exalter la transparence, tout en prenant une grande profondeur avec le verre. L’or renvoie à l’éclat du soleil, à son feu, à sa lumière.

Les nouveaux statuts de la Commission d’Art sacré sont signés en 1945 par Mgr Dubourg. L’archevêque valide la présence de 12 membres : 6 laïcs et 6 religieux. Parmi eux, le chanoine Lucien Ledeur et François Mathey, inspecteur des Monuments Historiques, tous deux originaires de Ronchamp. Accompagnés par les autres membres, ils vont ouvrir le diocèse à la création contemporaine. Cette dimension de création artistique est poursuivie par leurs successeurs, témoignant de la modernité de l’Église et  de sa dimension pastorale qui s’inscrit dans notre temps.

Pascale Bonnet

© Gabriel Vielle


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